3 – Gérer collectivement une ressource commune : un enjeu politique
Dans les élans de promotion de l’économie circulaire des nutriments, il est question d’inciter chaque habitant à « faire don » du produit de sa digestion. Si les déjections sont reconnues comme une ressource, avec qui est-il question de les partager ? Avec qui et comment voulez-vous partager le produit de votre digestion ?
Ces questions sont aujourd’hui des impensés politiques. Pourtant, elles conditionnent pourtant profondément la manière de penser toute filière de valorisation des excrétats.
Parler ouvertement de la « merde » et de sa valeur, dire qu’il faut « prendre notre caca en main », au-delà de la provocation de base, est-ce un acte qui peut se révéler transformateur ?
« Nous ne donnerons plus notre caca à l’égout, au système d’assainissement centralisé. Car il nous appartient. Et il nous appartient d’en faire quelque chose de bien ».
Dire quelque chose comme ça, c’est affirmer que l’assainissement écologique n’est pas une pure question technique. Il s’agit aussi de prendre conscience, de refaire connaissance avec ces matières qui chaque jour nous quittent et dont nous sommes aujourd’hui largement dépossédés.
Revendiquer, c’est se rendre responsable, reprendre une prise. Et pour cela il est nécessaire de représenter.
Selon cet angle de vue, ce qui est « dégoutant », ce n’est pas la merde, c’est le système d’assainissement centralisé conventionnel, la gestion de ce qu’on appelle improprement le « petit cycle de l’eau », et plus largement, les infrastructures du système de production thermo-industriel. Cet ogre qui transforme les montagnes, les rivières et les sols d’une part en argent, d’autre part en tombereaux d’ordures. C’est le corps humain lui-même assimilé à un ogre insatiable qui participe, branché sur l’égout, à cette entreprise de destruction assise sur le culte de la valeur ajoutée. Cet ogre, ce monstre qui chie littéralement de l’argent.
Extrait de Eric Sabot, La pratique du compost et des toilettes sèches
Pour en savoir plus, voir : Pipi et caca superstars : entre réappropriation et monétarisation